LA LIGNE DE CHEMIN DE FER DE LONS LE SAUNIER A CHAMPAGNOLE
1/ La construction et l’inauguration
Après la construction des grandes lignes de chemin de fer, le Second Empire étudie l’implantation d’un réseau secondaire mais il revient à la IIIème République d’en assurer la réalisation et de créer un réseau de montagne, notamment la desserte du Jura.
Un premier projet, établi par l’ingénieur Jacqueline en 1863, propose de raccorder l’embranchement d’Andelot-Champagnole à Ambronay dans l’Ain par Morez, Saint-Claude, Oyonnax et Nantua. Or celui-ci a l’inconvénient d’isoler tout le premier plateau. Aussi à l’instar de la ville de Lons Le Saunier et d’autres communes, le conseil municipal de Publy, le 15 septembre 1863, après un long exposé du maire, Monsieur Honoré Fumey, proteste contre ce projet et "demande avec la plus vive instance la création d’un chemin de fer qui, partant de Lons Le Saunier reliera de la manière la plus directe possible le chef-lieu avec les villes de Morez et Saint-Claude" . Or il s’avère que la construction de cette longitudinale de la montagne semble prématurée.
Aussi, le conseil général du Jura, par délibération du 4 septembre 1866, demande l’étude de projets de desserte entre Lons Le Saunier et Champagnole avec embranchement par Clairvaux et Moirans sur Saint-Claude et entre Saint-Claude et la ligne de Champagnole à Morez.
En 1867, l’ingénieur Lesguillier propose un tracé partant du chef-lieu qui suit le versant Nord de la reculée de la Vallière pour atteindre le premier plateau par Rochechien, en Bullin et le bois des Epaisses et se divise en deux branches à partir de Verges, au Nord en direction de Champagnole et au sud en direction de Clairvaux. Ce tracé ne satisfait pas tout le monde : les communes de Crançot, Fay en Montagne, Mirebel...demandent qu’il passe par le col de Mirebel. Un autre tracé est proposé par le versant sud de Publy en frôlant Binans.
La guerre de 1870-1871 et ses suites interrompent ces projets qui ne pourront reprendre qu’en 1873.
En raison du coût élevé de la construction, le conseil général décide de réserver l’écartement normal à la branche nord et de traiter la branche sud en voie étroite (tramways moins coûteux). Les communes concernées sont également sollicitées pour participer financièrement à l’opération. 75 communes représentant la moitié de la subvention espérée refusent leur concours financier. Le refus du conseil municipal de Publy du 26 juin 1874 est renouvelé le 4 août 1878 par manque de ressources. Il considère "que le commerce de la commune avec la montagne est absolument nul et que la ligne passant soit à la limite nord, soit à la limite sud du territoire ne présente pas d’intérêt." Toutefois le conseil municipal est prêt à céder gratuitement tout le terrain communal nécessaire à la construction.
Le ministère des Travaux Publics semble considérer la ligne Lons Le Saunier-Champagnole d’intérêt général. Par délibération du 11 avril 1878 le conseil général décide de payer une somme de 40 000 F par kilomètre de voie construite, la compagnie P.L.M.(Paris Lyon Marseille) étant chargée de l’exploitation.
La ligne est déclarée d’utilité publique par la loi du 19 juillet 1880. Le tracé définitif d’une longueur de 43,700 kms est approuvé par le ministre le 7 août 1880. L’arrêté préfectoral du 18 août suivant désigne les territoires qui doivent être traversés par le chemin de fer :
Lons Le Saunier – Perrigny – Conliège – Revigny – Publy – Verges – Blye – Chatillon – Mirebel – Pont du Navoy – Crotenay – Montrond et Champagnole.
Les communes devant donner leur avis, le conseil municipal de Publy, sous la présidence du maire Monsieur Germain Patillon, approuve le 6 septembre 1880 l’emplacement des gares à établir sur l’ensemble du tracé et notamment celles sur le territoire de la commune :
- l’une au lieu-dit "en Bullin" qui s’appellera gare de Publy-Vevy,
- l’autre au lieu-dit "Bas de Rette" qui sera la gare de Verges.
La procédure d’acquisition des terrains publics et privés, faite d’enquêtes, de réclamations, de commissions, dure de 1881 à 1885. La traversée du territoire de Publy est divisée en deux lots : le premier concerne 25 propriétaires pour une surface de 3,42 hectares et le second 26 propriétaires pour 4,50 hectares.
Les travaux débutent en 1886 et avancent lentement en raison de la construction de nombreux ouvrages d’art nécessaires, entre autres, au franchissement de la reculée de Revigny.
Pendant ce temps des projets de lignes à voie étroite pour la branche sud se préparent. Le conseil général demande par délibération du 26 août 1887, l’étude d’une ligne de tramways de Publy à Orgelet.
Un tracé est établi le 18 août 1888 parant de la gare P.L.M. de Publy-Vevy pour rejoindre la bifurcation du carrefour de la RN 78 et du CD4, en passant à l’ouest du village entre les dernières maisons où est prévu la construction d’une gare.
Mais un rapport de l’ingénieur en chef du 27 août 1888 conclut qu’un raccordement de Nogna à Lons Le Saunier s’avère plus rentable. Le conseil général opte pour cette solution le 25 février 1889.
Si le projet initial avait vu le jour, Publy aurait abrité trois gares sur son territoire, ce qui eût été peu banal pour une commune de 408 habitants.
La construction de la ligne Lons Le Saunier-Champagnole se poursuit avec son lot de difficultés techniques et de drames humains : accidents mortels, blessés, pour s’achever au printemps 1891.
Le 19 mars 1891 a lieu la réception officielle de la ligne. Un train spécial part de Lons Le Saunier à 7 heures et arrive à Champagnole à 10 heures. Un banquet est servi aux ingénieurs du contrôle de l’état et à ceux de la compagnie de chemin de fer P.L.M. La ligne est ouverte au trafic le 8 avril 1891 : trois trains la desservent chaque jour dans les deux sens. Le prix de la place en 3ième classe de Lons Le Saunier à Publy est de 1 Fr.
Le dimanche 10 mai 1891 la ligne est inaugurée par Monsieur Yves Guyot, Ministre des Travaux Publics. Après le banquet inaugural prend le départ de Champagnole vers 14 heures. Le voyage est ponctué d’un arrêt à toutes les gares : Crotenay, Pont du Navoy, Chatillon, Verges, Publy, Conliège et Lons Le Saunier. Le ministre est chaque fois chaleureusement accueilli au son des fanfares par le maire, le conseil municipal et la population.
Le journal de l’Union Républicaine du Jura rend compte de l’accueil à la gare de Publy-Vevy. En présence d’une foule considérable, les maires des deux communes, respectivement Messieurs Constant Fumey et Jean-Louis Pelletier, s’approchent du Ministre et l’un deux s’adresse en ces termes au nom de la population des deux communes :
"Monsieur le Ministre,
Nous saluons en vous, Monsieur le Ministre, le représentant du gouvernement républicain et nous vous prions de porter à Monsieur le Président de la République ainsi qu’à vos collègues du gouvernement, l’expression de notre inébranlable attachement aux valeurs républicaines.
Nous vous exprimons également, Monsieur le Ministre, toute notre reconnaissance pour nous avoir doté d’une ligne de chemin de fer qui, tout en assurant la défense nationale, servira puissamment à augmenter la prospérité de nos pays."
Monsieur Yves Guyot répond :
"Je suis heureux des sentiments que vous exprimez au nom des populations que vous représentez. Le gouvernement dont je fais partie fait tous ses efforts pour faciliter les moyens de communication qui seront un des plus puissants facteurs de l’avenir et du bien-être du pays. Les sentiments républicains que vous affirmez de nouveau sont ceux de votre département et j’ajouterai de la France entière. C’est à l’abri de ces institutions que nous verrons se développer la prospérité matérielle et morale du pays"
2/ L’EXPLOITATION ET LA FERMETURE
Grâce à un prix de moitié inférieur à celui de la diligence, le chemin de fer, par ses grandes lignes, favorise les déplacements et les relations entre les régions et, par son réseau secondaire, intensifie le commerce local. Ainsi, le trafic ferroviaire se développe de manière constante jusqu’à la première guerre mondiale.
Le perfectionnement des machines à vapeur permet de réduire progressivement la durée des trajets. Celui de Lons-Champagnole est peu à peu ramené de deux heures environ à environ 1 heure 15 minutes. Toutefois, il arrive que les parcours soient très allongés par les chutes abondantes de neige certains hivers.
Monsieur Lucien Vernoy (habitant de Binans) se souvenait que, vers les années 1907-1908, son père et d’autres villageois étaient allés déneiger la ligne en la chargeant dans des wagons pour la déverser vers le pont métallique de Rochechien. La neige provoque aussi des déraillements comme durant l’hiver 1941-1942. Le train de 16 heures passe dans ce cas vers 23 heures.
La chaudière du train provoque parfois des incendies dans les broussailles ou les bois avoisinant la ligne. C’est le cas le 2 avril 1894 au lieu-dit "les Grands Bois" dans la coupe n°19. L’incendie éclate vers 15 h 30 et brûle environ un hectare de bois. Le chef de gare, Monsieur Girod, aidé du garde-forestier et des hommes d’équipe de la voie, arrive à maîtriser le feu après une heure de travail. La compagnie P.L.M. verse une gratification à M. Victor Burignat, brigadier-poseur et à son épouse, garde-barrière au passage à niveau n°26. Il est probable que l’appellation "Bois Brûlé" provienne de ce premier incendie, car un second éclate le 14 avril 1931 dans le même secteur, sur une partie des coupes n°14 à 20. Malgré les procès-verbaux et rapports qui accusent la compagnie P.L.M., celle-ci prétend que sa responsabilité n’est pas démontrée. Aussi le conseil municipal de Publy, décide, le 3 janvier 1932, avec l’autorisation du Préfet, d’engager un procès contre la compagnie et obtient gain de cause par arrêt de la Cour d’Appel de Besançon le 8 novembre 1933.
Ce poste de garde-barrière appelé aussi « maisonnette du bois Brûlé » fut le théâtre d’événements plus tragiques encore. La première à occuper cet emploi de garde-barrière, Mme Delphine Four, âgée de 28 ans, est retrouvée le 26 mai 1891, noyée dans la citerne située à proximité. L’enquête semble conclure à un suicide.
De même, le 10 mars 1892, l’époux de la garde-barrière, Monsieur Stéphane Dole, âgé de 29 ans, se donne la mort d’un coup de fusil.
Enfin, dernière tragédie, le 15 avril 1908, le chef de gare, Monsieur David, après avoir tiré à bout portant trois coups de revolver sur le facteur, Monsieur Michaud, qui n’est heureusement que légèrement blessé, se constitue prisonnier à la Gendarmerie de Crançot, déclarant que la jalousie est à l’origine de son acte.
En 1915, la ligne n’est desservie, chaque jour, que par deux trains dans les deux sens. Au début des années 1920, le rail subit la concurrence de la route en raison des progrès techniques de l’automobile. Les lignes à voie étroite (tramway) déficitaires dès 1927, sont les premières touchées parce que transportant surtout des voyageurs et des marchandises légères. Elles seront supprimées progressivement de 1934 à 1939 puis totalement remplacées en 1961 par la desserte routière de la R.D.T.J. (Régie Départementale des Transports Jurassiens).
Le réseau secondaire exploité par la compagnie P.L.M. souffre tout autant de la concurrence de la route. Le déficit est constant à partir de 1930, malgré les mesures de restructuration et de refonte du réseau engagées en 1937 et la création de la S.N.C.F. le 1er janvier 1933. En vertu des décrets-lois de 1934 et 1935, instituant une coordination des transports routiers et ferroviaires, et mise en application en 1937 et 1938, de nombreuses lignes sont fermées au trafic voyageurs dont celle de Lons-Le-Saunier-Champagnole.
"Le trajet par autocars s’avérant plus long, inconfortable, surchargé et dangereux en raison du profil accidenté de la route", le conseil municipal de Publy, selon sa délibération du 14 août 1945, demande à la S.N.C.F., la mise en service d’autorails "qui contribueraient à la reprise économique dans la région où la population est maintenant trop défavorisée au point de vue des transports". Cette demande n’a pas reçu d’écho favorable.
Le trafic "marchandises" est, quant à lui, en progression presque constante. La gare de PUBLY-VEVY, située à mi-distance des RN 471 et 78, enregistre un tonnage aussi élevé qu’à la gare de Poligny. Les produits des acieries, tourneries, minoteries, carrières du premier plateau et de la région des lacs, transitent tous par la gare de PUBLY-VEVY.
Pendant la seconde guerre mondiale, la gare devient un carrefour important de la résistance dont Paul Moureau, fils de Marie Moureau, chef de gare, est un élément actif. Selon les souvenirs de Thérèse Montagnon, fille de Marie Moureau,, la gare est très surveillée par l’occupant allemand qui fait transiter d’importantes quantités de matériels (250 wagons en un mois) destinés à la construction du camp-radars au lieu-dit "en Brion". Lors d’exercices de tirs réels, des obus tombent près de la gare tordant les rails et arrachant les fils téléphoniques. A la Libération, les américains succèdent aux allemands et chargent des wagons pour l’est.
Les menaces de fermetures de lignes nées de la coordination des transports reprennent en 1949. Dans sa séance du 10 juillet 1949, le conseil municipal de PUBLY rappelle l’importance du trafic marchandises à la gare de PUBLY-VEVY, qui enregistre une moyenne de 80 wagons par jour, pour 400 tonnes à l’arrivée et 500 au départ, totalisant un chiffre d’affaires de 1 270 000 Fr. De nombreuses communes du secteur telles Patornay, Pont de Poitte, Ney, Clairvaux les lacs et Briod...protestent que le projet de suppression de la ligne Lons Le Saunier-Champagnole, qui ne comporte plus qu’un train par jour.
Le tonnage transporté sur le réseau secondaire ne suffisant pas à assurer la pérennité des petites lignes, le verdict tombe quatre ans plus tard : la ligne Lons Le Saunier – Champagnole est définitivement fermée au trafic le 31 octobre 1953.
Thérèse Montagnon se remémore cette triste journée : sa mère et elle voient arriver, vers 17 heures, le train en provenance de Champagnole, crachant sa fumée noire. Après la répartition des wagons, le train repart dans un sifflement strident en signe d’adieu et emprunte une dernière fois la rampe de " Rochechien " avant son arrivée à Lons Le Saunier. C’est fois, c’est vraiment le terminus.
Marie Moureau, nommée à PUBLY fin 1938, à la suite de Monsieur Petit, se retrouve sans emploi durant quelques mois avant d’être mutée à la gare de Montain-Lavigny en 1954.
La ligne étant démantelée, par acte du 19 juillet 1963, la commune de PUBLY achète les terrains et les bâtiments annexes. Le pont métallique près de la gare de VERGES est démonté, puis vendu à un ferrailleur de Lons Le Saunier en 1971, au prix de 13 centimes le kg. L’ancienne voie ferrée est complètement mise à nu par la vente des traverses en 1978, laissant place à un chemin d’exploitation, parfois à un sentier de randonnée.
Robert BERNARD